Sermon de Erika Tomassone, pasteure de l’Eglise Vaudoise de Rorà (Turin), sur Luc 11, 29-32
«Tandis que les foules s’amassaient autour de Jésus, il se mit à dire: “Les gens d’aujourd’hui sont mauvais; ils demandent un miracle, mais aucun miracle ne leur sera accordé se ce n’est celui de Jonas. Car, de même que Jonas fut un signe pour les habitants de Ninive, ainsi le fils de l’homme sera un signe pour les gens d’aujourd’hui. Au jour du Jugement, la reine du Sud se lèvera en face des gens d’aujourd’hui et les accusera, car elle est venue des régions les plus lointaines de la terre pour écouter les paroles pleines de sagesse de Salomon. Et il y a ici plus que Salomon! Au jour du Jugement, les habitants de Ninive se lèveront en face des gens d’aujourd’hui et les accuseront, car les Ninivites ont changé de comportement quand ils ont entendu prêcher Jonas. Et il y a ici plus que Jonas!”»
“Nous avons besoin d’un grand réveil” me dit une dame gée. Nous avons besoin de redémarrer parce qu’ici il ne se passe rien, c’est le calme plat”. Bien entendu redémarrer comme église pour le voyage sur lequel nous fait cheminer la vocation qui nous a été adressée.
Dans la vie de tous les jours voyager ne plaît pas à tout le monde, nous ne sommes pas tous curieux, nous n’aimons pas tous rencontrer des personnes provenant d’autres cultures, avoir affaire à d’autres coutumes, et puis il y a ces plats bizarres, et les maladies, on pourrait les éviter; faire du tourisme pendant les vacances n’est pas possible pour tout le monde; et tous nos voyages ne sont pas forcément des vacances, ce sont des déplacements aux noms multiples: émigrations, exodes, exils, fuites.
Nous sommes très souvent de ceux qui résistent à l’idée de voyager: nous préférons chacun chez soi.
Par contre quand nous parlons de notre vocation, le voyage s’impose. Si on ne se déplace pas, si on ne vit pas un dépaysement humain devant Dieu, il y a quelque chose qui ne va pas. En restant immobile, on risque de construire une maison plus ou moins belle, une structure de pensée, des paroles et actions plus ou moins fatiguées, où chaque chose a son explication, son pourquoi, où les questions à la fin sont celles à l’intérieur de la maison, où les exaltations succèdent aux déceptions parce qu’elles dépendent des points de vue que nous avons humainement de l’intérieur de la maison. Au lieu de s’abandonner avec confiance à la rencontre avec ce Dieu qui s’est dépaysé pour venir jusqu’à nous et nous amener à la libération et qui veut nous faire avancer, on finit par s’accrocher et se défendre. On se retranche dans son propre monde éthique, théologique et spirituel.
Les interlocuteurs de Jésus dans notre texte avaient tout comme nous, un pays, une patrie de foi faite comme la nà´tre d’affirmations et de questions, d’efforts dans la compréhension de la parole de Dieu pour eux, une pratique de vie et de culte qui essayait d’être cohérente avec leur confession de foi.
Et voilà Jésus, qui se présente comme un imprévu, un étranger et les gens du temps de Jésus appliquent de façon cohérente leurs convictions. Pour se confier à lui, pour croire, ils demandent un signe à Dieu lui-même. Apprécions-les ! Ils ne prétendent pas juger eux-mêmes ! Ils demandent à Dieu un signe.
Quel mal y a-t-il à demander un signe de Dieu, notre Dieu selon les Écritures, n’est-ce pas un Dieu qui nous atteint en nous offrant des signes ? Un arc-en-ciel, un ciel étoilé, les tables de la loi, une femme avec un peu de farine, une ombre de mort qui recule, une branche d’amandier ?
Et pourtant Jésus est catégorique : pour cette génération incapable de dépaysement, retranchée dans son pays avec ses convictions, il n’y a qu’un signe offert : l’extranéité, une rencontre avec l’extranéité.
Jésus évoque deux voyages, deux dépaysements:
- celui de la reine du Sud vers la cour du roi Salomon. Celle qui voulait rencontrer personnellement le roi d’un petit état qui n’était même pas limitrophe avec son royaume, parce qu’elle en avait entendu parler. Un dépaysement sans autre motivation que de voir en personne la sagesse du roi et elle ne fut pas déçue
- Celui du prophète Jonas à Ninive, le signe déterminant pour cette génération sur la défensive. Agrippé à la conviction de risquer sa vie inutilement en se rendant à Ninive, tellement connue pour sa puissance, son organisation, la métropole ennemie avec son système religieux tellement étranger, Jonas essaie d’éviter le voyage, de se mettre à l’abri.
Finalement en acceptant forcément un dépaysement extrême, il arrive à Ninive et étonnamment il ne trouve pas la mort mais l’écoute de la parole de Dieu de la part de ces étrangers ; un dépaysement des Ninivites qui commence à la périphérie et seulement ensuite devient un décret strict du roi. Jonas ne rencontrera pas le jugement de Dieu, tant attendu du point de vue de sa connaissance de Dieu en accord avec son opinion sur les Ninivites. Il rencontre la miséricorde de Dieu pour les étrangers, en rencontrant lui-même un Dieu étranger qui continue de le dépayser et de le surprendre, qui offre à tous la manifestation de sa grce.
Le signe que Dieu a donné aux Ninivites avec Jonas, celui de l’extranéité qui nous rencontre, nous dépayse, nous change la vie est le même signe qui est donné à la génération contemporaine de Jésus et à toutes les autres générations, aussi à la nà´tre. Au retranchement, à la défensive, à la sécurité excessive d’être descendance, de la famille de Dieu, Jésus répond par le signe de l’extranéité.
Luc dessine dans le Christ, l’image de Jonas qui invite à la conversion comme acceptation d’une rencontre avec Dieu, le « différent de nous » et comme occasion pour sa propre vie, Jonas est l’étranger parmi les Ninivites, Jésus est l’étranger parmi nous.
Maintenant, nous, les humains, nous sommes malheureusement naturellement xénophobes, c’est-à -dire hostiles, contre, ennemi de ce qui nous est étranger. Les murs, les conflits, les préjugés, les guerres sont là pour nous le rappeler tous les jours. Nous sommes xénophobes aussi face à Dieu que nous essayons de comprendre, de retenir dans notre système de conviction de confusion mentale. La réflexion seule, une réminiscence de l’amour du prochain et beaucoup de fatigue parfois nous permettent d’aller à la rencontre de l’extranéité humaine et divine et d’essayer d’entrer en dialogue.
Mais le signe offert à notre vie est justement l’appel à accueillir à nouveau ce qui n’est pas prévu, ce qui n’est pas cohérent, homogène, réductible à nos catégorie de pensée aussi théologique. En commençant par Dieu.
L’extranéité miséricordieuse de Dieu est celle qui nous est offerte et qui nous invite à nous abandonner dans le voyage de la confiance. à€ ceux qui sont déjà dépaysés le signe est offert, à ceux qui vivent la crise du dépaysement un signe les accompagne:
- pour que nous recommencions à vivre en survivant à la catastrophe comme Noé
- pour que nous vivions de la promesse contre toute évidence réaliste comme Abraham
- pour que nous marchions libre au milieu du danger et de la fatigue du désert comme le peuple sorti de l’esclavage d’Égypte
- pour que nous, comme Élie, en partageant le peu de biens des plus pauvres, nous soyons pour eux source de vie
- pour que lors de la mortalité humaine inévitable nous sachions donner un sens au temps que nous avons à disposition comme le roi Ézéchias
- pour que comme Jérémie, au milieu de la destruction du présent, nous annoncions qu’il y a encore un futur.
Si nous acceptons encore aujourd’hui d’être dépaysé par Dieu, en laissant nos retranchements et nos défenses, nous voyageons sous le signe de Jonas. Dans l’accueil de l’extranéité de Dieu, nous, les étrangers à lui par excellence, recherchés par lui et aimés, nous rencontrons la grce stupéfiante et libératoire avec laquelle nous pouvons marcher en pleine confiance au milieu des défis humains de tous les instants.
Que Dieu nous concède une vie de voyageurs libres en ce temps de renouveau des murs mentaux et matériels par lesquels nous nous défendons des autres, des barbelés et des décombres, des fronts opposés, ; qu’il nous tienne éloigné d’une vie immobile et arrogée, qu’il nous enseigne à confesser notre incrédulité pour repartir, qu’il nous permette de reconsidérer sa grce qui aime les personnes sans qualité, tellement différente de Lui, comme fils et filles.
Je ne sais pas si nous appellerons cela un grand réveil mais ce sera un nouveau départ comme pour cette femme gée qui aimerait cela pour l’église dont elle fait partie, en regardant aussi au-delà de sa génération. Amen
23 aoà»t 2015